Le jour se lève

Le jour se lève

Le disque d’or irradie ses rayons safran

Derrière le bouquet de bouleaux dénudés.

L’azur du ciel lentement s’irise.

Jo quitte son duvet cotonneux

Et se prépare un petit déjeuner copieux.

Il sait que la journée sera longue.

Prestement il fait un brin de toilette,

Se vêt de sa longue tunique blanche

Et parcourt le lotissement

A la rencontre de ses compagnons:

Pierre le mécano, Akim le percepteur,

Jacques le croque-mort,

Jean le poète, Philippe l’infirmier,

Puis Thomas et André

A la recherche d’un emploi

Comme on dit pudiquement !

Et encore Fatima, Isaac

Et quelques autres,

Des SDF à ce qu’il paraît

Et même que certains seraient séros,

Et parmi eux, un prof et un curé.

Le maître passe.

Ils sont prêts.

Tous se dirigent vers le marché.

Là, ils rencontrent Evin,

Le fils de Rose.

Vous savez Rose, la crémière,

Celle que son mari a quittée

Pour une jouvencelle

Secrétaire à la coop.

Evin, lui, il s’est camé

Et il a écopé de six mois de taule

Parce qu’il avait braqué le Crédit Agricole

Pour se procurer le blé indispensable

A l’achat du poison délicieux.

Maintenant il est sorti de son trou.

Il s’est désintoxiqué.

Il ne s’pique plus, il ne sniffe plus,

Mais du boulot il n’a pas trouvé,

Alors il s’est mis à faire les troquets.

Aujourd’hui, il est là,

Devant Le Goulot d’or.

Il voit Jo et sa bande de copains.

Il a entendu parler d’eux

Dans la presse, et même à la télé.

Il sait qu’ils font des choses extra.

Il paraît même

Qu’ils ont guéri des malades.

Et certains disent

Qu’ils auraient ressuscité des morts.

Ce qui est sûr,

C’est que depuis qu’elle a rencontré Jo,

La belle Ophélie,

On ne la reconnaît plus,

Elle, qui offrait ses appâts frelatés

A tous les orphelins d’amour

Qui croyaient oublier leur solitude

Dans une brève étreinte,

Instant de chaleur corporelle

Dans l’éternité polaire

De leur cœur.

Oui on ne la reconnaît plus

La belle Ophélie.

Elle a obtenu un job à la maternelle.

Ses yeux se sont dessillés

Les visages rayonnants des enfants

L’ont rendue à la Vie.

Et avec Jo

Elle a monté un groupe de musique reg.

Chaque samedi,

Ils se produisent dans les églises

Ou dans les salles des fêtes

Drainant un flot de jeunes

Et de moins jeunes

Enfin réconciliés avec la vie.

Désormais avec Lui,

Ophélie accomplit des miracles,

Miracles de l’Amour.

Jo, à l’invite d’Evin

Entre au Goulot d’or

Avec sa bande de potes.

Ils prennent un petit verre,

Ils échangent quelques paroles,

Des paroles riches de leur quotidienneté,

Riches de leur simplicité,

Riches de leur vérité.

Au bout d’un moment

Jo se lève et dit :

« Evin, viens avec nous ! »

Et ils partent pour des chemins étranges.

Ils quittent bientôt la départementale,

Ils empruntent des chemins vicinaux

Puis des sentes à travers la forêt.

Ils arrivent enfin dans une clairière.

Là, le spectacle est étonnant.

Un étang aux eaux argentées

Reflète les longs squelettes anthracite

D’arbres nus

Légèrement penchés

En direction de la masse fluide et luisante

Et qui d’une rive à l’autre,

Joignent leurs cimes,

Formant comme un immense dais

Au-dessus de la scène

De ce théâtre surnaturel.

Sur le rivage, quelques barques

En forme de coquille de noix

Reposent, comme ensommeillées.

Jo dit alors :

« Que chacun monte à bord

De l’une de ces embarcations

Et se laisse mouvoir

Au gré de la brise.

Pendant quarante jours,

Vous oublierez tous vos soucis,

Vous ne penserez qu’au bonheur

D’être seuls.

Dans cet endroit exceptionnel,

Vous ne vous préoccuperez plus

Ni de nourriture ni de travail

Ni de chômage ni de compte en banque.

Vous essaierez

d’Etre

Seulement d’Etre,

Pendant quarante jours.

Et alors...

JEP

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